LE MIRACLE DU ROI LALIBELA

                      

   Dans le nord de l’Ethiopie, des chrétiens de l’Eglise copte ont creusé dans la montagne, à la fin du XIIème siècle, un ensemble de sanctuaires qui demeure jusqu’à aujourd’hui un lieu de pèlerinage : Lalibela.

 

Rien ne prépare le voyageur à ce qui est enfoui dans les entrailles de la colline de Lalibela. Le petit avion de ligne qui vous dépose sur la piste poussiéreuse d’un semblant d’aéroport, a survolé un paysage montagneux et dénudé. Tantôt la tache verdoyante et sinueuse de quelque filet d’eau interrompt l’ocre uniforme du sol, tantôt se dessine une géométrie de cercles : des cases et leur enclos délimité et ratissé.

L’autocar qui relie l’aéroport à Lalibela s’épuise sur la piste caillouteuse et pentue, avant de vous déposer dans un gros village africain aux cases rondes, parfois à étages, avec son lycée couvert de tôle ondulée. Le «  Roha hôtel » rappelle que cette ancienne capitale de la dynastie Zagoué s’appelait Roha avant de prendre le nom de son roi le plus célèbre, Lalibela.

15 heures : l’ascension de la colline de Lalibela commence ; Il fait chaud, l’altitude vous coupe le souffle et les mouches vous assaillent. Le guide explique en anglais comment le roi Lalibela reçut l’aide des anges pour créer, à la fin du XIIème siècle, cette nouvelle Jérusalem : douze églises monolithiques ou semi-monolithiques séparées en deux groupes par un canal creusé dans le rocher et qui figure le Jourdain. On peut penser que le roi voulait donner naissance en son royaume à un lieu de pèlerinage car le voyage en Palestine était devenu hasardeux en raison des victoires islamiques comme la prise de Jérusalem par Saladin en 1187. Lalibela reste aujourd’hui une ville sainte que de nombreux pèlerins continuent à fréquenter.

Puis l’on pénètre dans un dédale de couloirs à ciel ouvert et de tunnels creusés dans la roche rose de la montagne. Au débouché de l’obscurité fraiche d’un passage couvert, la verticalité d’une église monolithique avec pour tout ornement des bandeaux de pierre qui encadrent les portes ou des « têtes de singe » qui simulent l’extrémité d’une poutre, inexistante dans ces édifices creusés à même le roc. Le gardien de chaussures qui vous accompagne dans votre visite, ne pénètre jamais dans les églises. Il aligne soigneusement les chaussures que vous avez retirées prés de la porte, s’assied à coté et attend. Tout d’abord vous ne percevez dans l’obscurité que la tache claire de la fine herbe vert-jaune qui jonche le sol de certains sanctuaires. Le contact en est plus agréable que celui du rocher qui, bien que poli par le va et vient des pèlerins, demeure inconfortable pour nos pieds habitués à être chaussés. A l’intérieur tout est calme, fraicheur et obscurité. Le prêtre ou le diacre gardien du lieu vous salue en silence et n’hésite pas à endosser sa cape d’apparat pour vous présenter la croix de son église. Les décorations en sont variées : motifs tressés, symbole d’infini, cercle évoquant l’univers ou croix secondaires qui multiplient le pouvoir de la principale. Lorsque l’œil s’habitue à l’obscurité il distingue le rideau qui dissimule le saint des saints, et la petite ouverture cruciforme dont la faible lumière ne suffit pas à éclairer les fresques peintes sur les voutes. C’est la lampe torche du guide qui arrache aux ténèbres une vierge aux grands yeux sombres, ou le pilier de l’unité de la foi où sont inscrits le passé et l’avenir du monde depuis que le Christ l’aurait touché. Mais surtout ne vous avisez pas de soulever le drap qui le voile, les inscriptions deviendraient aussitôt invisibles !

Vous êtes depuis longtemps égarés dans ce labyrinthe souterrain ou semi-souterrain. Vous avez gouté à la fraîcheur silencieuse des églises, Bieta Debré Sina, Bieta Medina, Bieta Golgotha avec ses sept personnages en bas-relief. On vous a montré les gros volumes faits de parchemins décorés de miniatures colorées. Les textes religieux y sont écrits en langue guèze, qui était celle du royaume d’Axoum et qui a dû disparaitre de l’usage parlé vers le Xème siècle. Mais on vous a montré également avec le même enthousiasme des peintures récentes aux couleurs très vives qui représentent souvent la lutte de Saint Georges et du dragon. Votre guide infatigable vous a expliqué que les alvéoles creusées dans les parois près des églises servaient de tombes aux prêtres les plus vénérables. L’une d’elle contient encore un squelette recroquevillé comme oublié là dans sa nudité d’ossements. Dans la cour entourant l’église de Bieta Mariam une grande cuve taillée dans le roc aurait le pouvoir de donner aux femmes la fertilité si elles restaient plongées dans ses eaux une nuit entière. Pour l’heure on aperçoit à peine une flaque croupissante sous un enchevêtrement d’herbes aquatiques. Mieux vaut attendre que la saison des pluies ait renouvelé le bain !

De la basilique rectangulaire à cinq nefs de Bieta Medani Alem vous passerez aux sept personnages taillés en bas-relief sur les parois des deux nefs de Bieta Golgotha. Quant à Bieta Giorgis, la plus célèbre, avec son toit-terrasse en forme de quadruple croix, vous la découvrez sous vos pieds au centre d’un ravin creusé par la main de l’homme. Il est impossible de descendre les douze mètres de paroi lisse pour accéder à l’entrée, il faudra avoir recours à un sentier détourné et à un tunnel.

Le silence est ponctué de psalmodies qui se répercutent et circulent dans les souterrains et les étroits couloirs de pierre. Un groupe de prêtres et de diacres prient (c’est l’époque du carême) appuyés sur leur longue canne de prière qui les aide à rester debout durant les chants interminables. Les prêtres principaux ont revêtu leurs capes brodées, les plus jeunes sont vêtus de blanc et les chants psalmodiés et discordants occupent toute l’obscurité de l’église et se répandent, au-delà des ouvertures cruciformes du sanctuaire, dans le dédale de pierre rose.

Au sortir de cet univers de pierre semi-enterré, vous tombez dans un village amhara bruyant et poussiéreux. Et si votre gardien de chaussure vous propose de boire un café (buna) chez lui, ne refusez pas, la maitresse de maison le grillera devant vous et vous aurez tout loisir de humer son parfum avant de le déguster.

Ethiopie 1996

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